Grains de sable
Assise en indienne à même le lino, les rayons de lumière qui filtraient à travers les velux venaient lui chauffer tranquillement les épaules et les chevilles. Frissons sur les parcelles d’ombre, douce brulure sur les fragments éclairés, sa peau dégageait des effluves de framboise et de frangipane.
La tête légèrement penchée sur son épaule, elle observait les microscopiques poussières flotter dans l’air et jouer avec l’air déplacé par sa respiration. Chat et souris, ses doigts tentaient vainement d’attraper quelques particules alors que sa paume dessinait de larges volutes autour d’elle.
Une mélodie derrière elle, au loin dans la pièce. Les notes fébriles mais entêtantes du piano légèrement désaccordé avaient immédiatement accroché son esprit. Fantaisie et kaléidoscope des corpuscules volants, qui prenaient vie sur les portées et mesures se formant dans ses yeux au fur et à mesure que défilait la musique dans ses oreilles.
- Juste une distraction inoffensive, une dernière fois, souffla-t-elle.
Sa voix était vide, comme si elle n’arrivait pas à se convaincre elle-même, sachant le mensonge plus agréable que la guimauve fondant sous son palais.
Un léger rire s’empara d’elle, déformant sa bouche en un rictus amusé. Elle dénoua ses jambes sous elle pour les offrir entièrement à la chaleur du jour. Elle les secouait un peu, pour détendre ses muscles quand, dans un grand soupir propulsé par les cymbales, ses coudes et poignets révulsés, elle glissa en arrière plongeant sur le sol devenu immatériel. Immergée comme jamais, la surface paraissait lointaine et proche à la fois, comme un mirage flottant dans l’espace et narguant les hères perdus en plein désert. Sa gorge s’asséchait rapidement et elle déglutissait difficilement.
- Perdre pied, mais se rattraper, pensa-t-elle alors que son esprit sombrait dans les méandres de la voix envoutante qui résonnait et se perdait dans l'air, en suspend.
Et sa longue chute commença à la cadence proposée par les toms. Ses cheveux et ses vêtements fouettaient l’air au dessus d’elle pendant que ses membres fouillaient le vide à la recherche d’une prise pour ralentir ; ses cris inaudibles noyés dans la masse harmonique.
Aucun besoin de robe bleue ou d’une quelconque montre pour comprendre, qu’aucune branche ne viendrait la secourir. Elle avait succombé et ne referait surface que lorsque son inconscient accepterait enfin de reprendre ses droits. Elle consentit donc à être pénétrée par le vide et le froid qui envahissaient son crane.
Imperceptiblement, ses doigts et orteils s’écartèrent pour laisser apparaitre des filets multicolores emprunts de cannelle et de mangue. Son esprit se perdait dans la contemplation de ces arcs-en-ciel dispersés par ses mouvements décousus quand, soudain, son corps atterrit. Impact de son enveloppe dans le monde réel.
Retour à la réalité. D'abord inanimée, il lui fallut plusieurs secondes avant de se mouvoir. Seuls son thorax et ses hanches décrivaient de larges coubes, répercutant sa respiration saccadée. Doucement, elle roula sur le ventre, remontant le bras afin de se faciliter le mouvement et se mit à ramper sur le sol, laissant les rayons du soleil se promener de sa tête jusqu’à la plante de ses pieds.
Et ses mains chercher à l’aveuglette le bouton replay avant de retourner essoufflée sous les doux feux du ciel chauffant sa peau, laissant derrière elle des trainées de grains de sables polychromes.