Derrière la buée
Manies installées, accoutumance des habitudes.
La route défilait, mains cramponnées au volant, comme chaque matin. Je pensais aux regards aux sourires qui me feraient tenir pour la journée. Que les heures passent et que tout recommence. Encore. Jusqu’à ce, qu’à genoux, je craque. Encore.
Là routine était là, elle m’étouffait discrètement, poumons comprimés, inconscient oppressé.
Bercée par le cortège d’images qui s’effilochaient sous mes yeux à travers le pare-brise, je ne l’avais pas sentie venir. Elle était pourtant là, insidieuse et cassandre. Elle, que j’avais toujours chérie, que jamais je n’avais descendu de son piédestal, maîtresse de ma vie, s’avéra traîtresse. Et décida de me tuer ce matin, de m’achever de ses notes qui visent juste.
Résister. Je me l’étais promis, résister. Et pourtant, dès les premières notes, cœur serré, mâchoires bloquées, tempes qui palpitent, yeux qui brulent, alors que la source semblait tarie depuis des mois. La voix cristalline me déchira les tympans et ma poitrine implosa. J’étais touchée. Sueurs froides dans la nuque, mes mains se mirent à trembler, et, de justesse, je freinai sec, évitant ainsi la voiture d’en face. La douleur pourtant insupportable, je n’arrivais pas à décrisper mes doigts, incapable de lâcher prise.
Ca ne peut pas m’arriver, pas à moi, pas maintenant.
Incrédule, je sentais mon corps perdre le contrôle et mon cerveau se déconnecter. J’étais pourtant certaine de m’être protégée cloisonnée pour que rien ne m’atteigne. Aussi, je tentais de respirer profondément, mais la musique insistait, elle n’allait pas me laisser m’en sortir aussi facilement. Chaque loquet fermé sauta sous sa force et son insistance; elle savait comment s’y prendre, souris prise au piège, aucun moyen de m’échapper.
Elle ira jusqu’au bout, jusqu’à ce que je craque.
J’avais toujours refusé de me regarder en face, d’admettre la réalité. Mais j’étais là, sur le bord de la route, avec la possibilité de tout arrêter. Je n’avais qu’à éteindre la radio, mais je n’en avais pas la force. De toute manière, je ne lui aurais pas échappé aussi facilement. Ca aurait été trop simple. Elle aurait continué tranquillement dans ma tête, profitant des méandres et circonvolutions de ma cervelle pour se promener et me torturer.
Je ne peux m’en prendre qu’à moi, après tout, c’est moi qui ai ouvert les verrous de mes pensées, à travers ces discussions, à travers cette relation.
Je m’étais pourtant promis que personne ne m’atteindrait me toucherait à ce point. Que personne n’aurait accès à mes envies ces parties de moi. Trop de désillusions passées, trop de déceptions. Enfouies, je les gardais donc précieusement pour moi. Pourtant, j’avais cédé, les basses insistaient pour que je l’admette. Un à un, j’avais moi-même défait les cadenas de mon âme. Invitation à la découverte, niant oubliant consciemment tout risque de rapprochement. Fuite vers l’avant pour qu’on m’attrape là où je suis vraiment là où personne ne m’a jamais trouvée. Pour ne plus être seule. Pour être vulnérable comprise.
Il n’est pas prêt, personne ne l’est.
Pourtant, malgré tout, j’avais peur de la méprise, de l’incompréhension, du rejet. Peur d’un regard qui crierait de me soigner me demanderait si ça va. J’avais juré de ne plus jamais m’ouvrir, de ne plus livrer mes pensées. Et soudain, la possibilité d’être comprise, ne fusse qu’au dixième, m’affola.
Choisir la solitude par peur de la transparence absolue, j’avais toujours préféré ne pas y penser.
Mais il avait suffit de deux notes. Deux notes, pour tout faire exploser. De cette musique qui n’appelait qu’à l’espoir et au renouveau. Et, alors que je m’obstinais à être aveugle, à en avoir mal, elle me força à ouvrir les yeux et à réaliser que, malgré tout ce que je pouvais bien essayer de me faire croire, je ne serai jamais quelqu’un de bien la personne dont je rêvais.
Il suffisait que je l’admette et tout serait plus doux. Mon utopie ne pouvait que voler en éclat, mes choix avaient déjà été faits et toute marche arrière était maintenant impossible.
Cœur volé donné, remparts explosés, les larmes coulaient. Palpitations profondes, sourdes et tempes qui saignent, je vivais. Malgré tout. Malgré mes envies, encore debout, seule et errante. Les violons avaient cessé, m’abandonnant à ma fatigue de ne savoir ce que je voulais, à mon désespérant besoin de fusion, et à mon envie de réalisation de ces nouvelles possibilités. Et de l’espoir de ce qui pouvait encore m’arriver.
Les mains trempées, les yeux asséchés, alors que la musique avait cessé, derrière la buée, ne résonnaient dans l’habitacle que mes sanglots étouffés.